Bidoche - L'industrie de la viande menace le monde

Bidoche

Voilà un livre bien salutaire que Bidoche. Il met à jour les rouages d’un système politico- scientifico- agro- industriel qui s’est développé en France depuis la Seconde Guerre mondiale, transformant les rapports entre les humains et les animaux, entre les pays du Nord et les pays du Sud, entre les humains et la terre. Jusqu’ici, il n’y avait guère que ces allumés de végétariens pour dénoncer ce que Bidoche dévoile, et il n’était pas très difficile de les accuser d’exagérer, en ce qui concerne les traitements faits aux animaux et en ce qui concerne les conséquences écologiques de l’élevage, pour défendre leur chapelle. C'est dans le cadre d'un cours de Master intitulé "Question d'éthique " que j'ai lu cette ouvrage.

Voici donc Fabrice Nicolino, journaliste et écologiste, connu pour la pertinence et la force de ses précédents essais sur les pesticides et les agrocarburants, qui s’attelle à cette question. Fabrice Nicolino n’est pas végétarien, mais il admet dans ses interviews que son enquête l’a sérieusement ébranlé, et qu’il pourrait bien s’acheminer dans cette direction.

Bidoche constitue une somme importante pour qui s’intéresse au devenir de l’agriculture dans nos pays riches, et il me paraît difficile (et d’ailleurs, peu souhaitable) d’en réaliser une synthèse ici.

Ce qui m’a frappée, dans ce livre – puisqu’il faut choisir un angle d’approche -, c’est comment l’industrie de la viande apparaît à la fois très rationnelle, et très irrationnelle.

Tout d’abord, rationalité économique poussée à l’extrême : on comprend, à la lecture de ces pages, que tout ce qu’il est possible de faire subir aux animaux pour gagner plus d’argent, on le fait. Sélection génétique, débecquage des poulets et castration à vif des porcelets, nourriture chimique, hormones et antibiotiques, contention des animaux dans des espaces minuscules, abattage à la chaîne. L’alimentation aux farines animales elle-même a été pensée et pesée méticuleusement avant d’être appliquée. L’approche coût-bénéfice, reine dans nos modèles économiques néolibéraux, conditionne l’existence des millions d’animaux chaque année en France, dans le cadre de cet « élevage » intensif qui contribue à 99,5% de la « production » de viande, le reste se partageant entre viande bio et races locales. 99,5%, cela signifie toute la viande des cantines, des supermarchés, des restaurants… Toute la viande, sauf lorsque le contraire est précisé, ce qui est rare.

Deuxièmement, parfaite rationalité d’un système qui tient ensemble les industriels, les scientifiques, les politiques, et les lobbies de la nutrition. Depuis 1945, l’INRA constitue un formidable vecteur de transmission du modèle américain à l’agriculture française, et parvient à empêcher des modèles alternatifs au tout industriel de se développer. Dans le cas du foie gras, il est depuis plusieurs années au service du CIFOG (Comité Interprofessionnel des Palmipèdes à Foie Gras) pour défendre, avec l’appui d’une caution prétendument scientifique, une filière menacée par une prise de conscience citoyenne croissante .

Dans la même dynamique, Bidoche décrit comment, à chaque explosion d’un scandale, qu’il soit sanitaire (la viande aux hormones) ou bien écologique (les sols bretons empoisonnés aux nitrates), l’industrie de la viande fait pression sur les pouvoirs publics, pour que surtout rien ne change. On y découvre par ailleurs l’existence d’un groupe invraisemblable, le « Comité Noé », un puissant groupe de lobbying au service des « utilisateurs des animaux » (des éleveurs aux aficionados de la corrida, en passant par les déterreurs de blaireaux), qui opère en particulier en stigmatisant les « terroristes du bien-être animal » sans craindre aucunement la caricature (dans une brochure produite par le Comité Noé, les végétariens sont représentés tout de noir vêtus, et cagoulés !!). On découvre que les organisations qui sont censées s’occuper de diététique en France (par exemple le Programme Nutrition Santé, ou l’Institut Français de la Nutrition) sont en très grande partie pilotées par les industriels de la viande et du lait, qui conditionnent en grande partie leurs préconisations.

M’enfin, si l’industrie de la viande s’organise très rigoureusement pour pourfendre ses détracteurs, l’accumulation d’un certain nombre de résultats écologiques et sanitaires fait craquer les coutures de sa comm’ lisse et léchée, et ainsi se dévoile l’irrationalité flagrante d’un système insoutenable dans le long terme.

Pour soutenir les demandes croissantes de produits animaux de la part des pays riches, on doit produire des céréales et des légumineuses en quantité explosive, et la pression sur les ressources des pays du Sud devient de plus en plus lourde. Le soja d’Amérique Latine, presque toujours OGM, est un acteur essentiel dans le système mondial de « production » de viande. Pour lui offrir les surfaces qu’il réclame, on déforeste, on exproprie violemment des groupes d’Indiens. Ce sont des multinationales, comme Cargill, qui font la loi et qui sont les grandes gagnantes du système.

En conséquence, mais aussi pour d’autres raisons, l’élevage porte une lourde responsabilité dans le changement climatique : il est à l’origine de 18% des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur Terre, selon l’étude de la FAO de novembre 2006, et 51% selon une étude plus récente. Quel que soit le chiffre réel, les mesures politiques nationales comme internationales affichent un inquiétant silence au regard de son importance.

Du côté de la santé, le régime alimentaire occidental apparaît également comme une aberration, qui porte de lourdes conséquences : le rapport Campbell, ou « China Study », la plus large étude diététique comparative menée à ce jour, le démontre sans équivoque.

C’est donc à un système absurde, injuste en termes de rapports Nord-Sud, insoutenable écologiquement, qui ne comporte presque aucune limite en termes de maltraitance animale, que nous participons (presque) tous. Nicolino a décidé de constituer son ouvrage comme élément d’un dispositif militant d’anti-désinformation : il s’exprime dans de nombreux médias depuis quelques semaines, et relaie ses passages médiatiques sur un blog. Dans la conclusion de son livre, il appelle les citoyen-ne-s à une révolution profonde dans les habitudes alimentaires, que ce soit en choisissant le végétarisme (qu’il présente sous un jour très positif), ou bien en optant pour une réduction drastique de la consommation de viande (l’impact écologique étant également très important en bio) et en ne consommant que la viande de filières comme le Réseau Agriculture Durable, dont il décrit les engagements et les pratiques. Il s’agit en tout cas d’opérer des ruptures radicales, dans une pratique quotidienne qui a des impacts dans plusieurs domaines importants, et qui demeure jusqu’ici un grand impensé du politique.

Au fur et à mesure cette exposé nous avons pu voir se dessiner le rapport éthique de l'auteur à l'environnement et la condition animale aussi bien qu'une éthique de l'alimentaire. Les choix moraux affirmés s'axaient sur plusieurs ordres. D'une part il y a une dénonciation de l'activité des lobbys concentrant l'agriculture dans les mains de puissants luttant pour leurs propres intérêts, d'autre part il y a un refus du rapport à l'environnement . Ici le développement se fait en terme de dangerosité à des échelles locales et globales. Au final la solution de l'auteur tend à l'extrême puisqu'il faudrait cesser de manger de la viande et de contribuer au cercle vicieux de l'agro industrie...

Commentaires

1. Le dimanche, 17 janvier 2010, 19:20 par DD

Un allemand de ma promo m'a expliqué pourquoi il achète de la viande bio...
Parce qu'il est contre la maltraitance faite aux animaux!
J'ai trouvé ça original de la part de quelqu'un qui n'est pas vraiment écolo.
A la réflexion, je pense que c'est peutêtre une solution.
Manger moins de viande, et plus de viande bio.

Pour l'agriculture: je pense, qu'à priori, l'agriculture bio ne change pas forcément grand chose pour nous consommateurs, mais beaucoup pour l'environnement, les producteurs, leurs familles, et les gens vivant à proximité des champs. Donc par conscience citoyenne et solidarité, c'est une bonne idée.

Mais c'est trop cher!

2. Le jeudi, 28 janvier 2010, 09:49 par djes

Très intéressant. Au début de ton article je me suis dit "encore une pseudo écolo qui préfère les animaux aux êtres humains". En plus, j'ai connu pas mal de végétariens qui se camouflaient derrière de beaux arguments, au lieu d'exprimer leur dégoût et leur peur par rapport à la consommation de viande (ce que je peux parfaitement comprendre). Mais le fait est que nous devrions vraiment nous interroger sur cette filière, sur son impact sur notre santé et sur la planète. C'est toujours un problème économique, entre les mains de personnes peu scrupuleuses qui n'en ont jamais assez. Aussi j'adhère à 100% à ton article.

DD> Je pense au contraire que l'agriculture bio change beaucoup de choses pour nous. On croit souvent que les produits industrialisés sont sains car parfaitement contrôlés. De fait, s'ils ne nous contaminent pas à court terme, c'est parce qu'ils sont bourrés d'antibiotiques, pesticides et autres produits chimiques dans des proportions qui n'ont rien d'anodin. A long terme, les effets de ces agents sont nocifs, mais cela ne se voit pas, on ne mourra donc pas d'une diarrhée mais d'un cancer.
La science est encore balbutiante dans bien des domaines; par exemple, nous n'en sommes qu'au début de la compréhension des mécanismes d'assimilation des plantes, et malheureusement on fait les frais d'une gestion basée sur la production à tous prix (c'est toujours le cas! les fruits sont toujours couverts de produits divers qui finissent dans la terre à la première pluie). L'agriculture Bio doit faire en sorte qu'un minimum de traitements soit apportés, c'est un pas dans la réflexion vers une meilleure alimentation, en plus bien sûr d'une meilleure gestion environnementale. C'est donc la voie du progrès, à mon avis. Et en plus, c'est incomparablement meilleur!

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