C’est Claude Santelli qui va être content, là où il se trouve. Nul autre mieux que lui n’a tracé le sillon Maupassant à la télévision. On s’en souviendra le 6 mars lorsque France 2 donnera à 20h50 le coup d’envoi de sa nouvelle collection “Maupassant” marquée par l’adaptation de quatre contes de 30 minutes et quatre nouvelles de 60 minutes confiée à des pointures de la réalisation et du scénario. Ca commencera ce soir-là par La parure (Claude Chabrol) et Histoire d’une fille de ferme (Denis Malleval). Ça se poursuivra quatre semaines durant avec Le père Amable, L’Héritage, Miss Harriet, Hautot père et fils, Toine, Deux amis. On a tous un Maupassant de chevet. Moi, c’est La Chevelure. Prétexte pour revisiter le bonhomme.
La maison Marpon et Flammarion édite en 1885 La Chevelure publié un an avant par le Gil Blas. On pourrait le présenter ainsi : un médecin donne à lire au narrateur le journal d’un fou, lequel, amateur d’antiquités, avait acquis un jour un vieux meuble italien renfermant une chevelure ; sa découverte l’obséda au point de ne plus jamais s’en séparer où qu’il fut, allant jusqu’à assurer avoir possédé la défunte femme à qui elle appartenait ; jugé fou, il fut enfermé. On pourrait également l’évoquer comme l’histoire d’un écrivain obsessionnel que rien n’excitait davantage chez une femme que toison, poils et cheveux. La chevelure féminine inspire alors des poètes mais chez Maupassant, c’est âpre, irrégulier et sombre, loin des métaphores filées du blason de Baudelaire et de l’impeccable technique du sonnet de Mallarmé. On pourrait y voir le portrait en creux de tout collectionneur. On pourrait tout aussi bien écrire : c’est l’histoire d’un homme se promenant dans le parc d’un asile d’aliénés et qui, apercevant des femmes en cheveux marchant dans la rue, s’agrippe aux grilles et les hèle : « Vous êtes nombreuses là-dedans ? » Le fait est que sa prise de conscience de la folie qui le gagne date de cette parution, plusieurs années après la manifestation des premiers symptômes. D’ailleurs, il n’y voit plus clair. Pas assez pour lire, juste assez pour écrire. Un implacable pressentiment de sa démence lui annonce son entrée dans le chaos. Sa lucidité sur lui-même est effrayante. Il se sent s’enfoncer tandis que son moi se vaporise ; cette intuition de l’intime désastre à l’œuvre ne fait que précipiter le basculement de l’autre côté.
Maupassant est un obsessionnel par tempérament. Le sexe bien sûr, et les fantasmes qui y sont attachés, mais pas seulement. Il est obsédé par quelques principes qu’il s’est fixés à jamais : ne pas être dupe, conserver une indépendance absolue, mettre à distance honneurs et académies. Maupassant est un faune que la mondanité pour la mondanité précipite dans une humeur massacrante ; la médiocrité de la vie de salons accable celui qui se veut un homme des bois, cours d’eaux et forêts. Rien ne vaut la solitude au sein de la nature. Ce n’est pas seulement un nihiliste assoiffé d’absolu mais un retranché de la société, jamais vraiment débarrassé de sa naïveté. Etretat reste le lieu géométrique de toutes ses passions. Au fond, il demeurera jusqu’au bout « le jeune homme d’une innocence départementale » pointé par Balzac. Alors, le timbré ? Une trentaine de récits de cas relevés dans sa bibliographie constitue le casier littéraire du suspect. Fou ?, La folle, Denis, Un fou ? Lettre d’un fou, Lui ? Qui sait ? sans oublier bien sûr le plus fameux Le Horla. Plus tard, la fin jetant une lumière noire sur le reste, on voudra reconnaître partout sous sa plume les masques de la folie, dans Fort comme la mort et Mont-Oriol, dans La Petite Roque comme dans Sur l’eau. Il est vrai qu’il a mis toute une œuvre à tourner autour de la mort et de son image. Il n’a pourtant pas mené sa vie comme s’il avait la nostalgie de la mort ; gardons nous de divaguer sur sa dilection pour le canotage de nuit, les voies du rameur sont impénétrables. Mais il serait des rares à ne pouvoir supporter que l’on écrive sur la folie autrement qu’en connaissance de cause.
Charcot, ah, Charcot grâce à qui toute femme est désormais suspecte d’hystérie… Même sainte Catherine de Sienne et sainte Marguerite de Cordoue ! Maupassant le tourne en dérision dans les colonnes du Gil Blas : « Nous sommes tous des hystériques depuis que Charcot, cet éleveur d’hystériques en chambre, entretient à grand frais, dans son établissement modèle de la Salpêtrière, un peuple de femmes nerveuses auxquelles il inocule la folie, et dont il fait en peu de temps des démoniaques ». Charcot de la Salpêtrière n’apprécie pas. Ni ça ni le reste. Une écriture de malade dès lors que la main à plume cesse de peindre la nature pour raconter des histoires. Aussi, lorsqu’il apprend que sa raison commence à vaciller, il lui fait savoir que le territoire de sa leçon publique lui est désormais interdit. On n’est pas plus élégant. Mais Charcot a tout compris depuis le début de cette torture inconnue qui le ronge. Là où les autres évoquent encore un trop profond commerce avec le morbide et le macabre, l’empire de la névralgie, la fragilité nerveuse, l’hyperexcitabilité congénitale, l’autoscopie, l’agraphie, l’hypocondrie, la répétition des comas et des crises épileptiformes, il délivre dès le début un diagnostic des plus précis : démence syphilitique. Il ne se trompe même pas sur le moment de la fin, celui où le malade sera définitivement hors-là.
Maupassant, le mauvais passant que la simple visite d’un cimetière mélancolise, se remémore un fait divers nécrophile de 1849 en écrivant La Chevelure : le sergent François Bertrand violait les sépultures de femmes enterrées depuis peu. Errant par l’esprit entre les tombes, Maupassant n’est plus qu’un chien hurlant dans les ténèbres, seul à savoir que les ténèbres sont en lui. Quel est cet homme qui surgit face à lui dans le miroir ? Un ours des Pyrénées à l’allure de paysan du Danube. Il se voit lui-même devant lui. Il se retourne, son double est assis dans son fauteuil. Pendant des années, il va suivre son propre enterrement, perdu dans le cortège de ses admirateurs et de ses maîtresses. La mémoire s’effiloche, la vision se trouble, ses gestes le trahissent, son pessimisme fondamental le mine, le sentiment du vide le travaille. Il en faut moins pour se résigner au néant. Lui que la névrose d’échec habite en permanence, le voilà qui échoue même à se tuer. Il se tire une balle dans la tête mais il n’y a pas de balle dans le barillet, où avait-il la tête ! Il se tranche la gorge avec un couteau mais ce n’est qu’un coupe-papier, écrivain jusqu’au bout !
Un jour, à la clinique du docteur Blanche, le dément de la chambre 15 réclame en pleine crise qu’on lui passe la camisole. Sa vie n’est plus qu’une suite de délires et d’hallucinations, jusqu’à la paralysie générale. Les mauvaises langues prétendent qu’il aboie. Les Goncourt ne le ratent pas : ils annoncent dans Paris que Guy de Maupassant s’animalise. Son corps s’épuise en convulsions, sa tête est une émeute, son regard grouille d’insectes. Il parle au mur. Un jour de juillet 1893, le mur perd son compagnon. Ses derniers mots : « Des ténèbres, oh, des ténèbres ».